Mise au point
J'ai lu quelques messages inquiets de mon non retour en classe. Et je crois qu'il est temps de m'expliquer, les choses étant aussi plus claires de mon côté.
Je suis devenue PE pour assurer une stabilité et une sécurité à ma fille, Emma. Lorsque je me suis retrouvée maman solo, mon choix a été confirmé. J'étais alors stagiaire. Ce métier n'a jamais été une passion d'enfance, un rêve. C'était par contre celui qui me paraissait le plus accessible et celui qui correspondait le plus à mes besoins. Avec le temps, et au fil des classes et des élèves que j'ai pu avoir, je me suis posée des questions sur ma façon de faire, sur les supports que je voulais utiliser. Je me suis auto formée, comme beaucoup, en cherchant sur des sites francophones mais aussi anglophone, étant bilingue. J'ai découvert des pratiques qui me correspondaient, que j'avais envie de mettre en place, et j'ai construit les outils dont j'avais besoin pour le faire. Puisqu'ils étaient prêts, je me suis dit que je pouvais les partager avec d'autres, afin de leur faire gagner du temps.
Ce blog est la matérialisation de cette envie. Je l'ai enrichi au fur et à mesure de mes découvertes, de mon travail, de mes réflexions. Chaque année, les élèves m'ont mise face à des challenges que j'ai tenté de relever en créant encore plus, en creusant encore plus pour trouver de quoi répondre à leurs besoins... C'était devenu passionnant, un défi que j'avais à coeur de relever. J'ai pris beaucoup de plaisir à créer tout ce que je vous partage, en osant même ajouter mes coloriages faits maison, parce que mes élèves les appréciaient vraiment beaucoup et que l'idée de faire plaisir à d'autres gamins, ailleurs, me faisait (et me fait toujours) sourire.
Ce travail m'a aussi permis de m'évader d'un quotidien complexe, ma fille Emma étant sujette à de plus en plus de troubles du comportement, ce qui a donné lieu à des jugements sans appels de la part des parents d'élèves, de mes collègues également... J'ai serré les dents. Et à la réflexion "quand on voit comment elle élève sa fille, on se demande si elle est compétente en tant que PE" je répondais avec encore plus de travail, encore plus de recherches, encore plus d'exigence envers mon travail.
Ce n'était pas mon incompétence qui était responsable des troubles d'Emma. C'était une tumeur cérébrale, inopérable et létale à 100%: un glioblastome. Dès l'annonce du diagnostique, Emma est évidemment devenue ma priorité absolue, je voulais profiter de chaque moment qu'il nous restait à vivre ensemble... Son souhait? Aller, à l'école, parce que c'est ce que font les enfants de son âge. Elle était scolarisée dans mon école, je pouvais donc être là en cas de souci... Emma a vécu presque 2 ans de plus, débarrassée de ses troubles du comportement grâce à une radiothérapie... mais ce n'était que reculer pour mieux sauter... Elle est décédée le 29 mars 2016...
J'ai pris 5 mois pour renaitre des cendres dans lesquelles je me suis consumée à son décès... Et j'ai repris ma classe, parce qu'elle m'apportait un cadre dont j'avais besoin après que mon monde se soit effondré. Je me suis plongée dans le travail, pour ne pas penser, pour ne pas m'effondrer à mon tour. Et je pense avoir sincèrement fait du bon travail.
Mais je n'avais plus à protéger Emma... Et je n'avais plus à tout accepter. Pendant 15 ans, j'ai fait le dos rond, j'ai avalé bien des couleuvres, je me suis tue, j'ai pris sur moi... Mais voila, c'est devenu de plus en plus compliqué pour moi... La maltraitance institutionnelle, les conflits personnels, les jeux de pouvoir, les parents qui se déchargent de leur anxiété ou de leur incompréhension sur nous, les élèves de plus en plus compliqués qui se retrouvent dans des situations qui ne répondent pas du tout à leurs besoins, l'irrespect, tout le temps, à tous les niveaux, l'infantilisation permanente... tout cela m'est devenu peu à peu insupportable...
J'ai commencé à me demander comment me sortir de là... et le COVID est arrivé, avec le confinement, alors que j'étais complètement aphone... je me suis dévouée pour être là pour mes élèves et leur parents, même en congé maladie, même avec une santé précaire... malgré toutes les nouvelles couleuvres à avaler... malgré le jugement permanent de toutes parts...
La rentrée suivante, je me suis rendue à l'évidence: quelque chose s'était brisé en moi. Je n'y croyais plus... Je n'avais plus envie ni la force de me battre contre d'éternels moulins à vent... j'ai pourtant continué, et je me suis concentrée sur mes élèves, qui n'avaient rien demandé... Mais je savais que j'arrivais au bout de ce chemin-là. J'ai eu une vie avant d'être PE, avant d'être mère... et celle que j'étais alors me demandait de revenir à moi. J'ai réussi à maintenir un équilibre précaire encore un peu...
Jusqu'en mars 2022... bien avant d'avoir pu trouver une porte de sortie... une goutte d'eau a fait déborder un vase déjà bien trop rempli... J'ai implosé, littéralement. Burn out... et au moment où j'étais déjà la plus fragile... mon corps a refusé de me laisser me préparer pour aller à l'école... et simultanément, j'ai ouvert toutes les boites de Pandore que j'avais remisées dans un coin de ma tête... Il était évident que j'étais arrivée au bout de ce que je pouvais faire... il était temps de faire table rase... Pour la première fois, je n'ai rien gardé pour moi, et les professionnels qui me suivent ont confirmé ce que je savais: être en classe m'empêche de faire mon deuil. L'un d'entre eux a même qualifié cette éventualité de "torture". Être confrontée chaque jour à des enfants de l'âge de ma fille lorsqu'elle est décédée, être confrontée à la culpabilité et à la lâcheté de certaines personnes qui m'ont jugée sans savoir et qui se sont retrouvées bien mal à l'aise lorsque les faits leur ont prouvé qu'elles ne pouvaient pas être plus dans l'erreur, être isolée, être jugée en permanence. Et puis des situations parents/enfants qui me jetaient en pleine figure l'absence de celle qui devait être à mes côtés, celle que je ne pouvais pas voir grandir, s'épanouir, celle que je ne pouvais pas accompagner dans son chemin de vie, alors que d'autres avaient cette opportunité avec leurs propres enfants mais ne la saisissaient pas, pour des raisons diverses et variées. ... et puis je ne supportais plus non plus d'être infantilisée, encore et toujours... j'avais la sensation de m'être perdue en route, plus rien n'avait de sens.
Je suis aujourd'hui en CLD, le temps de me reconstruire après ma dernière combustion. Je ne sais pas encore de quoi mon avenir sera fait, mais ce n'est pas la première fois que je dois réinventer ma vie... Je le ferai le moment venu, j'ai confiance en moi pour le faire et bien, en me faisant passer en premier, cette fois. Je suis loin d'être quelqu'un de fragile, j'ai encaissé bien des coups sans flétrir. Mais j'aspire à la paix. Pour ce faire, je m'occupe de tout ce que j'ai mis de côté pendant des années parce que je devais avancer, que je devais montrer un visage lisse et professionnel quoi qu'il m'en coûte... Le prix que j'ai payé est élevé. Mais je me suis acquittée de cette rançon et désormais je suis libre de vivre comme je l'entends.
Je me retrouve enfin, et je reprends goût aux petits "riens" et aux grands "tout ça". Je sais que ces 15 années passées en classe m'ont beaucoup apporté, et j'espère avoir été capable d'avoir planté des graines d'empathie, d'ouverture, de respect chez les élèves dont j'ai eu la charge. A eux de les faire germer ou non, ce n'est plus de mon ressort. Je ne regrette rien. Mais il est temps pour moi de reprendre ma route...
Voila, je ne retournerai pas en classe, cette page est tournée. Mais j'ai attrapé un nouveau tome prêt à être rempli de mes nouvelles aventures. Je vais bien, je me suis retrouvée.. Je me suis manquée.
J'ai rédigé tout ça d'un trait, je ne me relirai pas non plus, donc pardonnez moi pour les coquilles et autres horreurs orthographiques qui ont du se mêler à mon récit. Mais voilà où j'en suis. Et c'est très bien comme ça.
J'ai décidé de laisser ce blog en ligne pour une autre année, ou plus, on verra. Je me réserve le droit de l'actualiser avec des coloriages (d'ailleurs si vous avez des envies, n'hésitez pas à me contacter). Mais je ne répondrai pas aux demandes professionnelles, que ce soit pour des supports, des versions modifiables etc... je vous passe le flambeau.
Prenez soin de vous.